New-York, été 1985. Une femme pleure sur le parking du MOUNT SINAI HOSPITAL.
Elle est dans sa voiture et tient un nouveau né dans les bras, une petite fille qu’elle a appelée «Dylan», comme son papa. Elle pensait pouvoir y arriver, mais cet enfant lui rappelle trop son amour disparu cinq mois plus tôt. Elle aurait dû partir aussi, mais contrairement à lui elle avait pu s’échapper des flammes qui ravageaient leur maison. Clara avait tout perdu cette nuit là, mais elle s’était accrochée pour son enfant à naître. Peine perdue. Ils avaient oublié de payer l’assurance, Clara était ruinée, seule et elle ne voyait pas de moyen de s’en sortir, elle n’avait plus d’espoir.

La nuit était sans nuage, mais même comme ça à New-York il est impossible de voir les étoiles. Clara est sortie de sa voiture, son enfant endormi dans les bras, et elle est entrée dans l’hôpital, n’en ressortant que quelques minutes plus tard, seule. Elle a couru en sanglotant jusqu’à sa voiture et s’est éloignée à tout jamais de cet enfant qu’elle n’aurait pas pu assumer.


On dirait une histoire à la Dickens, non ? Pourtant c’est bien mon histoire à moi, Dylan Janis Preston. Je vous rassure tout de suite, on ne va pas continuer dans le larmoyant, tout simplement parce que ce n’est pas dans ma nature. OK, ma vie n’a pas super bien commencé, et alors ? Je ne me souviens pas de cette période, je ne me souviens pas de ma mère, y’a pas de quoi en faire un traumatisme ! Dans les films on voit toujours les orphelinats comme des bouges infâmes tenus par des rombières totalement frigides et mauvaises, avec des éducateurs qui ont la ceinture facile. C’est vendeur, mais ce n’est pas la réalité. En tout cas ça ne l’a pas été pour moi. Je me souviens de ces années comme d’une colonie de vacances perpétuelle. J’avais ma bande de potes, on faisait les pires conneries, on mettait le souk dans des fous rires qui n’en finissaient pas. Là bas j’ai appris à grimper aux arbres, à faire des noeuds marins, à fabriquer des petites boules puantes artisanales et à me faufiler dans les endroits interdits sans me faire remarquer. Franchement c’était la belle vie, une super enfance où j’ai développé ma débrouillardise et mon côté joueur. J’aimais tellement cet endroit que quand une famille venait pour m’adopter, je jouais à la peste pour les décourager, et si ça ne fonctionnait pas, je m’enfuyais. J’ai ainsi passé toute mon enfance et toute mon adolescence dans cette institution dont les gens dressent un portrait peu flatteur. Ca a forgé ma personnalité de forte tête et à dix huit ans, j’étais prête à prendre ma vie en main.


L’Ergothérapie. Voilà le métier que j’ai choisi d’exercer. Pour faire simple, on aide les personnes qui en ont besoin à garder leur indépendance en leur faisant faire des petits exercices qui leurs permettent de garder leur mobilité. D’accord, vous vous en foutez, mais moi j’aime bien mon job et j’en ai marre qu’on me regarde avec de grands yeux ronds quand j’annonce le métier que j’exerce. Bref, j’ai fait mes études, je les ai réussies, et comme le destin est vraiment hilarant quand il s’y met, je me suis retrouvée à bosser au Mount Sinai Hospital. Comique, hein ? Remarquez bien, je m’en foutais totalement, je n’avais aucun problème avec mon passé et la façon dont ma vie a démarré.

C’est à ce moment là que j’ai rencontré David. Rutherford de son patronyme... Un médecin urgentiste plutôt canon qui a réussi à me séduire en un temps trois mouvements. Beau parleur, sourire ultra-brite, on a démarré une relation assez passionnée mais qui a viré court quand je me suis rendue compte qu’il m’avait menti et qu’il était marié ! Enfoiré va... J’étais franchement hors de moi et me suis arrangée pour que tout l’hôpital soit au courant de l’histoire. Bien fait pour lui, il a dû démissionner et sa femme a eu vent de l’histoire. De ce que j’en sais, elle n’a pas vraiment aimé...

Et moi j’ai fini par découvrir que j’étais enceinte. Génial, hein ? Enceinte d’un connard que je ne voulais plus jamais revoir. Là vous vous dites «Ben elle n’a qu’a avorter la poulette !»... Mais non, la poulette elle n’a pas avorté, parce que la poulette, sans être contre l’avortement, elle ne se sentait pas de le faire. Je me connais, j’allais penser à ce gosse que j’avais tué toute ma vie à me demander ce qu’il serait devenu s’il avait vécu. Je n’ai pas eu le coeur de le faire, je devais assumer, tant pis, et c’est ce que j’ai décidé de faire, sans en parler au père indigne d’être celui de mon gosse.


Weelynn est née un peu en avance, mais en parfaite santé. Une jolie petite fille qui a le caractère de sa mère. Autant dire que parfois, elle me donne du fil à retordre. Je suis devenue une «single mum» débordée, qui coure partout et jongle entre son métier et son enfant. Les premiers temps, j’ai cru que j’allais devenir cinglée. Weelynn pleurait tout le temps, je me demandais si j’étais une bonne maman vu que j’étais incapable de la calmer. Mais avec le temps j’ai appris à gérer et ma vie a repris un rythme plus ou moins normal. Niveau relations, c’était un peu mort. Forcément, une nana avec un gosse, ça fait peur ! Du coup je ne cherchais plus vraiment de relation stable.

Il y a six mois de ça, ma vie a connu un tournant. On m’a offert un poste dans une maison de retraite à Seattle. C’était ce que je voulais depuis toujours, quitter les murs de l’hôpital pour ceux plus chaleureux de ce genre d’établissement privé. Et puis... C’était mieux payé, tout en ayant des horaires plus stables, ce qui n’était pas négligeable. Weelynn a quatre ans et demi, elle va à l’école, et cet été j’en ai profité pour déménager. Seattle est une ville qui me plaît, j’ai fait connaissance avec mes nouveaux collègues et je sens que je vais me plaire ici. Il y a quelques jours, je suis entrée dans ce bar après le boulot, pour décompresser un peu, et c’est là que je l’ai vu... Ce que j’ai ressenti à ce moment là était inédit, je me suis rendue compte que je n’étais jamais tombée amoureuse avant ça. Ce mec m’attire comme aucun autre, mais il n’est pas vraiment du genre sympathique, il a même tendance à se comporter comme un vrai connard avec moi. Pourtant je continue d’aller dans son bar, sans doute à cause de mon caractère têtu, parce que je veux comprendre, parce que je ne renonce pas si facilement, parce qu’il n’est pas comme les autres.